Paris et ses ghettos
S'exprimant après les attentats de Paris, le premier ministre français a créé la controverse en faisant le lien entre exclusion et radicalisation, et surtout, en parlant de ghettos et d'apartheid. Ces mots, Manuel Valls les utilise depuis ses années en tant que maire d'Évry, une banlieue défavorisée de la région parisienne connue pour ses guerres de gangs.
La vengeance est un plat qui se mange froid
On tire des rafales de balles donc baisse toi
Baisse toi, baisse toi, baisse toi!
Sors ton gilet pare-balles si tu veux rester en vie.
-Malason - Baisse-toi
Les rimes claquent comme autant de rafales. Elles crient la dure réalité de la vie dans un quartier de banlieue en pleine guerre entre bandes rivales.
Difficile d'imaginer, en voyant Malamine Sissoko, qu'il est l'auteur de ces lignes tant le jeune homme paraît paisible, tant il est souriant. Du haut de son 1 m 92, le jeune homme d'origine malienne fait penser à un adolescent qui aurait grandi trop vite.
La vérité n'en est pas très éloignée. La mort de son ami Espère Touré, poignardé en 2006 lors d'une bataille entre les jeunes du quartier Pyramides et les rivaux du quartier Canal, a brutalement fait basculer Malamine Sissoko dans l'âge adulte.
« Avant, on se battait tous, moi aussi. On traînait au centre commercial. On essayait de le contrôler, quoi. C'était notre territoire; fallait pas venir. Après, voilà. On en a perdu un. Et c'est là que tu réalises que c'est pas un jeu », explique Malamine Sissoko
Aujourd'hui, Malamine affirme que les esprits se sont un peu calmés aux Pyramides.
« Les jeunes qui foutaient la merde ont vieilli. Ils se sont construit une vie; ils ont eu des enfants. Les mentalités ont changé. » — Malamine Sissoko
Dans son cas, la rédemption est venue par le rap :
« Je dirais que c'était soit la musique, soit la délinquance. Au lieu d'aller voler, je venais au studio rapper. J'invitais des potes à moi et on venait rapper. Ça empêchait au moins trois ou quatre jeunes cons de faire des bêtises. »
Celui qui se fait aujourd'hui appeler Malason est une véritable vedette à Évry et dans la région. Impossible de faire trois pas à ses côtés aux Pyramides sans se faire interrompre par des jeunes qui viennent le saluer, lui faire cette poignée de main typique du quartier. Le jeune rappeur a déjà deux CD à son actif, distribués dans les boutiques de la région et sur les plateformes de musique en ligne. Ses clips sur Youtube ont déjà été vus plusieurs dizaines de milliers de fois.
Malason fait la fierté du studio Bunker, un studio associatif créé justement pour sortir les jeunes de la rue et éviter que la situation ne dégénère au lendemain de la mort du jeune Espère Touré.
« Les jeunes viennent ici pour s'exprimer autrement que par la dégradation de matériel, le vandalisme. Ils viennent se défouler par la musique », dit Morad Chalabi, le jeune président de l'association.
Les problèmes dans la banlieue sont nombreux, reconnaît le jeune éducateur sportif. Chômage, discrimination qui fait qu'il est plus facile de trouver du boulot si l'on s'appelle Jean-Pierre que si l'on se prénomme Mohamed. Pourtant, il ne cautionne pas les mots utilisés par le premier ministre.
« Apartheid, c'est très fort comme terme, estime Morad Chalabi. Nous, on ne va pas dire ça. Oui, quand on est noir ou arabe, on se fait discriminer chaque fois qu'on va quelque part; dès qu'on sort, on nous regarde bizarrement, mais parler d'apartheid, c'est vraiment trop gros. »
À force de persévérer...
Selon lui, si les jeunes issus des banlieues défavorisées doivent travailler fort pour s'en sortir, tout est possible quand la détermination y est. C'est d'ailleurs le message positif et volontariste que lance Malason dans plusieurs de ses chansons, comme celle intitulée À Force.
À force de jouer avec le feu, tu finis par te brûler
À force de persévérer à l'école, tu finis par avoir ton diplôme
Je suis pas parfait mais je fais tout pour l'être au maximum
Je conseille mes p'tits frères en leur disant qu'le bac, c'est le minimum.
- Malason - À Force
Le jeune homme l'avoue, il en a marre de l'image misérabiliste que l'on donne aux « quartiers » dans les médias français. Une fatalité qu'il travaille activement à essayer de changer.
« Du chômage, y'en a partout, dit-il. De la délinquance aussi. Mais malgré tout, on essaie de s'en sortir et pour montrer la bonne voie aux jeunes. C'est dur ici mais c'est dur partout aussi. Pour tout le monde, la vie n'est pas facile. Mais faut se donner les moyens et aller au but. Quand on bosse, tout est possible », soutient Malamine Sissoko.
Le jeune rappeur, c'est clair, ne doute de rien. Apartheid, ghetto ? Des mots qui ne figurent pas dans son vocabulaire.
Quand on lui demande où il se voit dans cinq ans, Malamine sourit et pointe son index vers le plafond :
« En haut, dit-il, et tu viendras me filmer dans ma villa à Monaco. »
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