La police de Longueuil enquêtera sur ses propres agissements dans l'affaire Carole Thomas

Written By Unknown on Kamis, 05 Februari 2015 | 14.18

Le reportage de Sophie Langlois

Le chef de police de Longueuil, Denis Desroches, a ouvert une enquête interne sur les agissements de son service dans le dossier de Carole Thomas, qui affirme avoir été battue, puis violée, deux jours avant le meurtre de Jenique Dalcourt, et dans le même secteur où ce crime sordide s'est produit.

C'est que de possibles irrégularités ont fait surface dans l'enquête, toujours en cours, menée par le Service de police de Longueuil : ainsi Radio-Canada a appris que les policiers ont mis trois mois à faire analyser la trousse médico-légale de la victime.

Ladite trousse, qui peut contenir des éléments de preuve d'ADN, du sperme, des cheveux ou des ongles, n'a donc été envoyée pour fins d'analyse qu'il y a deux semaines.

Or Mme Thomas soutient avoir été agressée le 20 octobre 2014 et avoir porté plainte aux policiers dès le lendemain.

Le chef de police de Longueuil admet que ces délais pour l'analyse d'une trousse médico-légale sont inhabituels. M. Desroches demande à ce que désormais, une telle analyse soit entreprise systématiquement dans les jours qui suivent un crime.

Lorsque la victime doit tirer elle-même la sonnette d'alarme

C'est Carole Thomas qui, la première, a attiré l'attention sur les délais indus pris par la police de Longueuil dans l'enquête sur cette agression dont elle affirme avoir été victime.

Après avoir alerté le Conseil du Statut de la femme qui avait tenté en vain de sensibiliser la police de Longueuil à la question, Mme Thomas s'est adressée à Radio-Canada.

La diffusion d'un reportage mardi, dans lequel on mettait notamment en lumière le fait que les policiers longueuillois n'avaient pas jugé bon de dresser un portrait robot de l'agresseur, a alerté la mairesse de Longueuil.

Mercredi, Caroline St-Hilaire s'est mise à poser des questions aux policiers de sa ville : « En toute franchise, j'étais inquiète quand j'ai vu la réaction de notre service de police et je leur ai dit : ''ça ne peut pas se passer comme ça, il faut apporter des correctifs'' ».

La mairesse avait tout de même rappelé, plus tôt en journée que 600 cas d'agressions sexuelles sont signalés chaque année à Longueuil et que les enquêteurs font leur travail.

La police dit prendre l'affaire Thomas au sérieux

La porte-parole de la police de Longueuil, Nancy Colagiacomo, affirme que son service prend au sérieux les doléances de Carole Thomas.

« Nous allons regarder le dossier et s'il y a des corrections à apporter, nous allons le faire. » — La porte-parole de la police de Longueuil, Nancy Colagiacomo

Et sans vouloir entrer dans les détails des enquêtes en cours tant dans le dossier du meurtre de Jenique Dalcourt que dans l'agression présumée de Mme Thomas, Nancy Colagiacomo affirme qu'il n'y a aucun lien possible à établir entre les deux affaires.

Rappelons les faits : Carole Thomas affirme avoir été victime d'une agression sexuelle dans la soirée du 20 octobre 2014 dans le secteur où l'on a retrouvé, 48 heures plus tard, le corps de Jenique Dalcourt. Mme Thomas a porté plainte à la police le lendemain des faits présumés. À l'hôpital où les policiers l'ont emmenée, on a diagnostiqué un choc post-traumatique et documenté les blessures qui lui ont été infligées.

Mme Thomas a par la suite pu bénéficier du programme d'indemnisation des victimes d'actes criminels.

« On m'a agressée, on m'a battue, on m'a violée, on m'a jetée, c'est pas important ça? C'est inadmissible, ils n'ont pas accordé d'importance à cette terreur que j'ai expérimentée. » — Carole Thomas à Radio-Canada

Mme Thomas en a notamment contre le fait que les policiers n'ont jamais jugé bon de dresser le portrait-robot de son présumé agresseur, bien qu'ils lui avaient dit qu'ils le feraient. Selon la présidente du Conseil du statut de la femme, à qui Mme Thomas s'est adressée en désespoir de cause, « ces délais-là sont inacceptables, c'est une autre forme de victimisation ».

Nancy Colagiacomo, de la police de Longueuil, explique qu'il n'est pas toujours de mise de faire un portrait-robot : « C'est un élément d'enquête parmi beaucoup d'autres, ce n'est pas nécessairement la meilleure stratégie ».

D'ex-policiers font entendre leurs critiques

« C'est inconcevable qu'en 2015 on ne soit pas capable de faire un suivi avec une victime d'agression sexuelle. » — L'ancien inspecteur du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) Guy Ryan, sur les ondes de RDI

Guy Ryan, ex-inspecteur du SPVM affirme n'avoir jamais rien vu de pareil dans toute sa carrière policière; selon lui, il est incompréhensible qu'on puisse oublier de faire analyser des éléments de preuve sur l'identité d'un présumé violeur. M. Ryan est persuadé qu'il s'agit d'une erreur de la part des policiers. Une erreur qui, dit-il, pourrait compromettre le bon déroulement de l'enquête.

Pour sa part, l'ex-policier de la Sûreté du Québec (SQ) François Doré a déclaré au micro de C'est pas trop tôt, sur les ondes d'ICI Radio-Canada Première, qu'il n'est pas normal qu'une victime d'agression sexuelle demeure deux mois sans nouvelles des policiers comme cela semble avoir été le cas pour Carole Thomas. « Il doit y avoir un lien, précieux, entre la victime et les enquêteurs. Il y a un problème de communication », dit-il.

« À partir du moment où il y a déclaration, dénonciation, les policiers n'ont pas le droit de prendre celles-ci à la légère. Ils se doivent d'aller jusqu'au bout peu importe qu'au bout du compte cette déclaration s'avère vraie ou fausse. » — L'ex-policier de la Sûreté du Québec (SQ), François Doré

M. Doré soulève de plus la problématique suivante : quand les policiers disent qu'il y a des zones grises dans le témoignage de la victime, est-ce une tentative de leur part de défaire la perception selon laquelle ils n'ont pas agi dans ce dossier?

« Si les policiers estiment que le témoignage de la victime n'est pas crédible, ils se doivent de le lui dire », estime François Doré.

L'ex-policier de la SQ soulève aussi le fait que l'attaque dont Mme Thomas aurait été victime soit survenue en début de soirée : « pourquoi la police de Longueuil n'a-t-elle pas demandé l'aide du public dans ce secteur-là, c'est quand même un endroit passant, fait-il valoir. A-t-on vu des véhicules suspects? Est-ce que la dame a donné la description du véhicule ? On ne sait pas, on nage en plein mystère ».

« Annuellement au Québec, ce sont 5200 agressions à caractère sexuel qui sont rapportées au service de police. C'est considérable et les services de police n'ont pas le droit de mettre de côté la dénonciation d'une victime », affirme François Doré.

Avec les informations de Sophie Langlois


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