Le reportage d'Isabelle Richer
L'enquête que mène l'Unité permanente anticorruption (UPAC) sur le financement du Parti libéral du Québec vise plusieurs anciens responsables du PLQ, dont l'ex-vice-première ministre Nathalie Normandeau, mais aussi la directrice du financement du PLQ de 2001 à 2012, Violette Trépanier, l'ex-directeur général du parti, Robert Parent, ainsi que plusieurs proches du PLQ, dont Marc Bibeau, que bien des témoins décrivent comme l'argentier du parti sous le règne de Jean Charest..
Selon les éléments recueillis par les policiers, l'enquête « tend à démontrer qu'une intervention de nature politique s'est produite dans l'octroi de la subvention pour la réfection de l'usine d'épuration des eaux de Boisbriand ». C'est ce que révèlent des documents de cour rendus publics mercredi.
Malgré de nombreux avis défavorables des fonctionnaires du ministère des Affaires municipales, des Régions et de l'Occupation du territoire (MAMROT), entre 2000 et 2006, l'ancienne ministre Nathalie Normandeau aurait donné son accord le 13 février 2007 pour attribuer une subvention de plus de 11 millions de dollars à la municipalité de Boisbriand qui comptait sur ce projet pour le développement du Faubourg Boisbriand.
Dans la dénonciation ayant servi à obtenir un mandat de perquisition à la permanence du PLQ le 9 juillet 2013, l'enquêteur responsable écrit que « l'octroi de cette subvention par le MAMROT est le résultat d'un financement politique soutenu depuis 2005 et d'un exercice d'influence politique par différents intervenants auprès de la ministre Nathalie Normandeau et du PLQ ».
Le document, qui comporte plus de 30 pages, fait état des nombreuses activités de financement tenues au bénéfice de Nathalie Normandeau dans le but de tisser des liens avec la ministre et son entourage. Le document résume aussi les déclarations de plusieurs anciens fonctionnaires du MAMROT ayant relevé un certain nombre d'irrégularités dans le traitement de ce dossier.
Un ancien sous-ministre et deux de ses adjoints ont déclaré qu'ils trouvaient « anormal et surprenant » le changement de position du ministère dans l'octroi de la subvention de plus de 11 millions de dollars à la ville de Boisbriand.
Dans un communiqué publié mercredi après-midi, l'ex-ministre libérale affirme qu'elle « assume pleinement » sa décision dans le dossier de l'usine de filtration des eaux et soutient qu'elle « a tranché » après des « échanges rigoureux avec les fonctionnaires du ministère à l'époque ».
« J'ai toujours eu tous mes dossiers à coeur, dont celui de la relance de Boisbriand. J'étais très sensible à la situation sociale et économique de la municipalité à l'époque alors que Boisbriand se remettait de la fermeture de l'usine GM. J'ai toujours été convaincue que cette aide financière allait redynamiser l'économie de la ville par le projet du Faubourg Boisbriand », déclare Nathalie Normandeau.
Le communiqué ajoute que Mme Normandeau « tient à réitérer le fait qu'elle ne s'occupait pas de financement politique au sein de son parti ».
« Durant toute ma carrière, jamais je n'ai été manipulée par qui que ce soit, peu importe le poste que j'occupais. Je n'aurais jamais accepté qu'une telle situation se produise. J'ai toujours assumé mes fonctions avec intégrité, rigueur et honnêteté », affirme Mme Normandeau.
La version de l'ex-chef de cabinet Bruno Lortie
Après le passage de l'entrepreneur en construction Lino Zambito à la commission Charbonneau, Bruno Lortie, qui était chef de cabinet de la ministre Normandeau, a appelé une adjointe administrative pour obtenir une copie de l'agenda électronique de Nathalie Normandeau. Celle-ci lui a remis un CD-ROM et une clé USB contenant une copie de l'agenda.
Le 19 décembre 2012, les policiers contactent Bruno Lortie qui accepte de leur remettre CD-ROM et clé USB. Il explique que Nathalie Normandeau l'avait contacté « afin qu'il fasse une vérification des propos tenus par Lino Zambito à la commission Charbonneau ». C'est pour cette raison qu'il a fait les démarches pour récupérer l'agenda, dit-il.
Le lendemain, les policiers ont rencontré à nouveau Bruno Lortie qui a décidé de coopérer. Il a révélé que dans le dossier de l'usine de traitement des eaux de Boisbriand, Nathalie Normandeau se faisait régulièrement interpeller par le député de Groulx d'alors, Pierre Descôteaux, et la mairesse de Boisbriand, Sylvie St-Jean.
La ministre souhaitait aider la municipalité à la suite de la fermeture de l'usine GM, mais les fonctionnaires du MAMROT étaient intraitables. Selon Bruno Lortie, elle est revenue à la charge trois fois, lui demandant « d'organiser une réunion avec les intervenants pour leur exprimer sa volonté de régler le dossier en contribuant pour 12 millions de dollars sur un projet de 24 millions » comme on peut lire dans le document.
À son avis, à la suite de cette réunion, « il y a forcément eu des indications au MAMROT de la volonté politique de régler le dossier », lit-on plus loin.
Cocktails et soupers de financement
La firme de génie-conseil Roche, qui avait obtenu le contrat d'élaboration des plans et devis de l'usine de traitement des eaux à Boisbriand, multipliait ses participations à des cocktails de financement et n'hésitait pas à solliciter ses employés afin que ceux-ci fassent des dons au parti, qui leur étaient ensuite remboursés par l'entreprise. Cette pratique contrevient à la loi sur le financement des partis qui interdit aux entreprises de verser des contributions politiques.
Roche comptait d'ailleurs Marc-Yvan Côté parmi ses dirigeants. L'ancien ministre libéral agissait comme vice-président au développement des affaires pour l'entreprise de génie et utilisait ses nombreux contacts afin de recueillir du financement en échange de lucratifs contrats pour la firme.
L'usine d'épuration des eaux de Boisbriand est « l'un des mandats importants exécutés par la firme de génie Roche », peut-on lire dans le document.
Lino Zambito participait lui aussi activement aux cocktails de financement pour la ministre Normandeau.
Juste avant son passage à la commission Charbonneau, Lino Zambito a reçu la visite d'enquêteurs de l'UPAC, à qui il a fait une déclaration.
L'enquête actuelle, baptisée LIERRE, est en grande partie le résultat de la collaboration de l'ex-vice-président d'Infrabec avec l'UPAC. Cette enquête a cependant été déclenchée à la suite de la diffusion, en avril 2012, d'un reportage de l'émission Enquête sur la firme Roche et son implication dans le financement du PLQ.
À l'automne 2007, Lino Zambito a participé à un souper au restaurant Louis-Hébert de Québec pour lequel il a versé 2000 $, en plus de payer la contribution de ses deux invités, Alain Guindon (maire de Saint-Joseph-du-Lac) et Peter Kouri (employé de son entreprise Infrabec). M. Zambito, qui venait d'obtenir le contrat de l'usine de Boisbriand, avait été sollicité par France Michaud de la firme Roche. Dans sa déclaration aux policiers, il indique « qu'il se sentait mal placé pour refuser la demande de France Michaud ».
La firme Roche devait générer un certain montant d'argent pour cette activité de financement et il souhaitait aider l'entreprise en plus de soigner ses relations avec la firme responsable de la surveillance des travaux.
Lors de cette activité, Lino Zambito a rencontré Marc-Yvan Côté, David Whissell (alors ministre du Travail dans le gouvernement), Nathalie Normandeau et Violette Trépanier, alors responsable du financement du PLQ.
À cette occasion, Lino Zambito propose d'organiser lui-même un événement au cours duquel il promet d'amasser 100 000 $.
Peu de temps après, Lino Zambito rencontre Violette Trépanier et Marc Bibeau, propriétaire de la compagnie Shockbéton et considéré comme l'argentier du Parti libéral sous le règne de Jean Charest. Marc Bibeau est un des sujets d'intérêt de l'UPAC dans toute cette enquête sur le financement illégal du PLQ. Ses entreprises ont été visitées par l'UPAC l'automne dernier.
Lino Zambito déclare aux policiers que la rencontre pour fixer les modalités du souper de financement pour Nathalie Normandeau s'est tenue dans les bureaux de Marc Bibeau à Saint-Eustache et que « celui-ci lui a rappelé les règles et les limites du financement politique ».
M. Zambito ajoute que l'activité qui a eu lieu au restaurant L'Unique à Laval a permis d'amasser 105 000 $. Les états financiers du PLQ de 2008 font état d'une seule activité en janvier 2008 à Laval et le montant qui est comptabilisé est de 77 500 $.
Le « comté 127 »
Les employés du PLQ avaient imaginé une 127e circonscription qui était utilisée pour comptabiliser le financement sectoriel. La définition de ce financement sectoriel varie selon les personnes interrogées par les enquêteurs.
Dans sa déclaration aux policiers, l'ancien directeur général du PLQ de 1999 à 2003, Joël Gauthier, indique que le financement sectoriel regroupe « tous les dons générés par le parti », mais il précise que « le financement sectoriel était surtout avec les entreprises ».
Joël Gauthier ajoute même « qu'il n'y a pas d'argent cash au PLQ, mais qu'il y a du financement corporatif ». Dans une rencontre subséquente, il donne d'autres détails, notamment que « quand les bénévoles reçoivent les chèques et qu'ils reçoivent des 25 000 $ d'un seul coup, les responsables marquent qui est la firme derrière ces dons ».
Selon Joël Gauthier, Marc Bibeau et Violette Trépanier forment un tandem.
Robert Parent, qui a succédé à Joël Gauthier comme directeur général du PLQ, de 2003 à 2008, a déclaré aux policiers que le financement sectoriel était celui qui revenait au parti plutôt qu'à une circonscription en particulier, « et qu'ils l'appelaient le comté 127 ». Selon M. Parent, ce financement sectoriel visait de gros donateurs et il était la responsabilité de Marc Bibeau et Violette Trépanier.
Violette Trépanier, directrice du recrutement et du financement de 2001 à 2012, a rencontré l'UPAC à deux reprises. Selon elle, les objectifs de financement sont les mêmes pour un député ou un ministre, soit en moyenne 40 000 $ par année.
Munis de toutes ces informations, persuadés que les règles d'octroi de la subvention à la Ville de Boisbriand n'ont pas été respectées et que des entreprises ont contribué de façon illégale à la caisse électorale du PLQ, à la demande du parti, les policiers de l'UPAC ont obtenu un mandat de perquisition à la permanence du PLQ. Ce mandat a été exécuté le 9 juillet 2013 et aucune arrestation n'a été effectuée à ce jour.
Sans vouloir commenter le cas spécifique de Nathalie Normandeau, la directrice des communications du PLQ, Gabrielle Collu, a indiqué que son parti voulait « la vérité sans compromis ».
Elle a appelé que « personne n'est au-dessus des lois » et que « ceux qui ont commis des actes répréhensibles devront en répondre ». Et d'ajouter que le PLQ continuera à collaborer avec les autorités, comme l'UPAC et la commission Charbonneau.
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