«Une descente aux enfers» - B. Ringuette, ex-Carboneutre

Written By Unknown on Kamis, 17 Oktober 2013 | 14.18

Le compte rendu d'Isabelle Richer

L'ingénieur Benoît Ringuette a raconté à la commission Charbonneau la longue « descente aux enfers » qu'il l'a amené à perdre le contrôle de son entreprise de décontamination Carboneutre aux mains de Domenico Arcuri, un individu présumé proche du crime organisé et associé au mafieux Raynald Desjardins.

Un texte de Bernard Leduc

Relire le blogue de François Messier

Lire aussi : Arcuri, un homme ciblé par la commission

De 1999 à 2005, M. Ringuette œuvre chez Dessau où il met au point une méthode de décontamination efficace des sols qui le décide à créer Énergie Carboneutre. La décontamination est un grand enjeu lorsqu'en construction on souhaite élaborer un projet immobilier sur des terrains contaminés, nombreux sur l'île de Montréal, par exemple.

Le procédé permet de réutiliser les hydrocarbures extraits du sol pour alimenter le processus de décontamination, d'où le nom de l'entreprise. Et la terre, ainsi décontaminée, peut être réutilisée, aussi il n'y a rien à jeter dans les sites d'enfouissement.

En quête d'argent pour financer le démarrage de Carboneutre, M. Ringuette va s'associer à Yves Thériault, propriétaire d'un centre de location d'outils et d'une compagnie de conteneurs.

En décembre 2005, ils enregistrent la compagnie dont ils sont tous deux actionnaires, par l'entremise de fiducies familiales. Un terrain est acheté en juillet suivant, place Marien, dans l'est de Montréal, pour y ériger l'usine de décontamination. L'achat est financé par un individu amené par Yves Thériault, un certain Jean-Louis St-Onge qui leur prête 1 million $.

En novembre 2006, inquiet des difficultés de M. Thériault à trouver le financement promis, M. Ringuette lui cède la gestion de la compagnie et devient simple salarié. Il s'entend par ailleurs avec M. Thériault, maintenant actionnaire principal, pour qu'il lui donne 50 % de la valeur de la compagnie s'il la vend.

C'est que les problèmes financiers ne cessent de s'accumuler et entraînent « une descente aux enfers », selon les mots de M. Ringuette.

« C'est pas compliqué : personne n'a été payé. » — Benoit Ringuette

Arcuri entre en scène

Carboneutre se révèle en effet incapable de payer ses multiples créanciers qui prennent, l'un après l'autre, des hypothèques légales sur le terrain, l'usine..., l'argent qui doit venir, selon M. Thériault, de la Fondaction CSN ne se matérialise pas et, pour ajouter au tout, Carboneutre perd son certificat d'autorisation du ministère de l'Environnement du Québec pour recevoir des sols contaminés.

C'est dans ce contexte qu'entre en scène Domenico Arcuri de Mirabeau Construction, une homme présumé lié à la mafia, ce qu'ignorait à l'époque M. Ringuette.

« Ça me semblait être un homme d'affaires très occupé, et il avait beaucoup de "tchatche", il parlait beaucoup. Il avait surtout l'argent. » — Benoit Ringuette sur Arcuri

À l'été 2007, Mirabeau reprend dans un premier temps le contrat de ré-asphaltage de DJL - une condition pour retrouver le fameux certificat d'autorisation - avant d'enregistrer, le 6 décembre 2007, une hypothèque légale sur le site.

Puis, le 1er février 2008, M. Arcuri reprend l'entreprise en main. Une convention d'exploitation d'entreprise est signée entre la Société internationale Carboneutre tout juste créée par M. Arcuri et Énergie Carboneutre de MM. Ringuette et Thériault pour lui confier la gestion de l'entreprise et le droit d'usage de sa technologie.

En échange, M. Arcuri prend en charge la dette de plus de 4 millions de dollars d'Énergie Carboneutre, dont environ 500 000 $ dûs à Arcuri lui-même, et rachète les parts de M. Ringuette. Le témoin ignore ce qu'il en a été pour M. Thériault.

Ce changement se traduit par un afflux de capitaux, ce qui permet de mener à terme les travaux. Aussi en mai 2008, dit M. Ringuette, l'entreprise était opérationnelle à 100 %.

Desjardins, partenaire silencieux

Les actionnaires de Société internationale Carboneutre sont alors trois compagnies à numéro et ses administrateurs, selon la déclaration initiale d'immatriculation déposée au Registre des entreprises du Québec, sont Domenico Arcuri (président) et Raynald Desjardins (secrétaire- trésorier).

« Domenico Arcuri a toujours dit que Raynald Desjardins n'était pas dans la compagnie officiellement », a affirmé pourtant, surpris, M. Ringuette au procureur Denis Gallant qui mène l'interrogatoire. 

« M. Desjardins, je ne l'ai connu en mars seulement. Quand on a signé le papier le 1er février, je ne savais pas que M. Desjardins était là », a-t-il expliqué, ajoutant avoir par la suite pris connaissance de son passé criminel en furetant sur Internet.

Mais le nom de M. Desjardins est rapidement retiré au Registre des entreprises tandis que sont ajoutés ceux de Giuseppe Bertolo et Gaétan Gosselin. M. Bertolo, dit-il, lui avait été présenté par M. Desjardins comme son « homme de confiance ».

M. Ringuette a expliqué par ailleurs qu'il a rencontré pour la première fois l'ex-directeur général de la FTQ-Construction Jocelyn Dupuis en avril 2008 par l'entremise de Raynald Desjardins. Immédiatemment, il est question d'aller chercher du financement auprès du Fonds de solidarité FTQ.

« Entre les deux, y'avait l'air d'avoir une bonne amitié, ils avaient l'air de se connaître. » — Benoit Ringuette

L'information sur le changement de propriété fait en 2006 au bénéfice de M. Thériault ne sera pas envoyé par ce dernier au Régistre des entreprises du Québec. Ce n'est que le 9 août 2012 que M. Ringuette a finalement réussi à rompre tous ses liens avec Carboneutre. M. Ringuette estime avoir perdu 380 000 $ ou 400 000 $ dans l'aventure.

Le procureur en chef adjoint, Me Denis Gallant a fait savoir que deux autres témoins liés à Carboneutre viendraient à la barre. L'objectif est de présenter un cas précis d'infiltration d'une entreprise par le crime organisé.

Lorsque la mafia entre en scène

Radio-Canada et La Presse ont tous deux révélé, il y a quelques années que Carboneutre avait tenté, en vain, en 2008, d'obtenir du financement du Fonds de solidarité FTQ.

Le président de la FTQ, Michel Arseneault, qui est aussi président du conseil d'administration du Fonds, a reconnu avoir rencontré, par deux fois, à l'été 2008, Domenico Arcuri en compagnie de MM. Ringuette et Thériault, à la demande de Jocelyn Dupuis.

M. Arsenault a par ailleurs nié s'être fait offrir ce même été un pot-de-vin de 300 000 $, dans son bureau par un « Italien » accompagné de Jocelyn Dupuis, pour défendre le projet au Fonds.

Cette allégation, confiée par Pereira en 2010 à Enquête et diffusée un an plus tard, a été répétée par ce dernier lors de son passage à la commission Charbonneau.

Cette histoire, soutient M. Pereira, lui aurait été contée par M. Arsenault lui-même lors de la rencontre du 19 août 2008. Le président de la FTQ aurait ajouté avoir refusé le pot-de-vin. « moi je l'ai pas pris, je l'ai crissé dehors de mon bureau », aurait conclu le président de la FTQ.

Radio-Canada alléguait aussi, sur la foi de sources policières, que Domenico Arcuri aurait eu une rencontre avec Michel Arsenault et Gaétan Morin, vice-président aux investissements, à l'automne 2008. Toujours selon les sources de Radio-Canada, c'est finalement Gaétan Morin qui a bloqué le dossier au Fonds de solidarité.

M. Arsenault avait pour sa part expliqué sur les ondes du 98,5 FM que deux semaines après sa seconde rencontre avec MM. Arcuri, Ringuette et Thériault, les conseillers financiers du Fonds de solidarité ont recommandé de ne pas conclure d'entente avec Carboneutre.

« On m'a dit "ce dossier-là n'est pas recommandable, on ne le fait pas". J'ai dit : "parfait, on ne le fait pas, ça finit là" », a-t-il fait valoir.

D'après le registre des entreprises du Québec, Domenico Arcuri n'est plus administrateur de Carboneutre depuis la fin 2012, tout comme son frère Anthony. Les actionnaires sont des compagnies à numéro. Giuseppe Bertolo y occupe les doubles fonctions de secrétaire et trésorier.

Raynald Desjardins est co-accusé du meurtre de Salvatore Montagna, une des figures en vue de la mafia montréalaise assassinée en novembre 2011.

Giuseppe Bertolo est par ailleurs le frère de Johnny Bertolo, directeur d'un local de la FTQ-Construction et trafiquant de drogue assassiné à Montréal en 2005.


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