L'enquêteur correctionnel du Canada Howard Sapers est d'avis que le système carcéral fédéral n'offre pas les mêmes chances aux détenus autochtones qu'aux non autochtones et que la situation empire, même 20 ans après une loi adoptée pour rectifier le tir.
En conférence de presse à Ottawa, M. Sapers a livré le contenu de son rapport déposé jeudi à la Chambre des communes, sur la surreprésentation des Autochtones dans les pénitenciers fédéraux, ainsi que le sous-financement et la sous-utilisation des mesures prévues pour ces détenues dans la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, promulguée en 1992.
Les Autochtones forment environ 4 % de la population totale du Canada, mais selon les plus récents chiffres, ils représentent près du quart des hommes incarcérés et environ le tiers des femmes incarcérées dans les établissements fédéraux. Ce nombre passe à 55 % au Pénitencier de la Saskatchewan et à plus de 60 % au pénitencier Stony Mountain au Manitoba.
De façon générale, les détenus autochtones ont de plus longues peines, passent davantage de temps en isolement, ont moins de chance de bénéficier tôt d'une liberté conditionnelle et sont plus à risque de voir cette liberté révoquée pour des délits mineurs.
Le rapport examine ensuite comment le système carcéral applique deux articles de loi. L'un permet le transfert, dans des établissements communautaires autochtones, de détenus qui seraient autrement envoyés en établissement fédéral, tandis que l'autre permet aux communautés autochtones de participer à la remise en liberté d'un délinquant. Ces outils sont rarement utilisés, a constaté M. Sapers.
Peu de mesures appliquées
Seulement 68 places dans quatre pavillons de ressourcement ont été créées depuis 1992, pour appliquer l'article sur les établissements communautaires. Même à plein rendement, ces places ne pourraient accueillir que 2 % des Autochtones détenus en établissement fédéral. De plus, trois des quatre installations sont situées dans des réserves, alors qu'une majorité de délinquants autochtones sont mis en liberté en milieu urbain.
Pour ce qui est de l'implication de la communauté, M. Sapers indique que le processus est enlisé dans l'administration et mal compris de toutes part. Il ajoute que parmi les 19 000 employés de Service correctionnel Canada, il n'y a que 12 agents qui coordonnent le processus dans tout le Canada.
L'enquêteur correctionnel recommande d'augmenter de façon importante le financement accordé aux programmes de réinsertion dans la communauté. Il suggère aussi de créer un poste de sous-commissaire des services correctionnels aux Autochtones, de créer des formations auprès des forces de l'ordre pour qu'elles soient mieux équipées pour intervenir auprès des Autochtones et de mieux inclure les aînés des communautés autochtones qui accueillent un délinquant en remise en liberté conditionnelle.
Le système carcéral accomplit ses visées, selon Ottawa
Accusé de ne pas prendre la crise au sérieux par le chef de l'opposition officielle, Thomas Mulcair, à la Chambre des communes, le premier ministre Stephen Harper a d'abord rappelé que les prisonniers « ont été déterminés coupables d'actes criminels par des cours indépendantes », avant d'ajouter : « Les autochtones sont malheureusement plus souvent victimes de crimes violents que les autres Canadiens. C'est la raison pour laquelle [...] nous prenons au sérieux notre responsabilité de protéger la société canadienne ».
Le ministre récemment nommé aux Affaires autochtones, Bernard Valcourt, s'est inquiété pour les victimes des prisonniers autochtones, se disant incapable de commenter les données sur leur surreprésentation carcérale. « Je ne peux pas expliquer ça, je ne suis pas devin », a-t-il lancé, renvoyant la question à son collègue de la Sécurité publique.
Le ministre Vic Toews n'a pas indiqué s'il acceptait les recommandations, mais dans une déclaration transmise à Radio-Canada, il a assuré que le système carcéral corrige les comportements criminels.
Le porte-parole néo-démocrate en matière de sécurité publique, Randall Garrison, a accusé les conservateurs au pouvoir de ne pas avoir su transférer des responsabilités aux communautés autochtones censées accueillir des délinquants. Il a fait valoir qu'il s'attendait en plus à des compressions au système correctionnel dans le prochain budget.
Quant à son collègue et ancien leader cri Roméo Saganash, il a affirmé que le premier ministre Harper ne connaissait pas le dossier. « Cela démontre une chose évidente : ça en prend encore beaucoup plus, des rencontres entre les chefs autochtones et le premier ministre du Canada. »
Jonathan Rudin, un des coauteurs du rapport Par-delà les divisions culturelles : un rapport sur les autochtones et la justice pénale au Canada, déposé par la Commission royale sur les peuples autochtones en 1996, a parlé d'un manque d'engagement et de ressources de la part du gouvernement et des services correctionnels. Selon lui, le fait d'avoir un programme ne suffit pas; encore faut-il qu'il ait un effet. Sinon, il ne devrait pas être offert, croit l'expert en justice autochtone.
Pendant que l'Association des libertés civiles de Colombie-Britannique utilisait le terme « raciste » pour décrire le système correctionnel canadien, le président par intérim de la Commission canadienne des droits de la personne, David Langtry, a décrit les problèmes relevés par le rapport comme étant « sérieux et troublants ».
Pour sa part, Shawn Atleo, grand chef de l'Assemblée des Premières Nations, a fait valoir qu'il était temps que le système pénal s'arrime avec les communautés autochtones pour réinsérer les repris de justice et prévenir la récidive.
Le dépôt du rapport spécial de l'enquêteur est un geste rare. Un tel document n'a été produit qu'une seule autre fois, il y a 20 ans, et il avait mené à l'établissement d'une commission royale d'enquête sur le traitement des femmes emprisonnées. Le vieil établissement carcéral pour femmes de Kingston, en Ontario, avait été fermé par la suite.
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